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L’obtention de l’annulation ou du rééchelonnement des dettes étrangères de l’Irak par le président américain George W. Bush et son envoyé spécial, l’ancien secrétaire d’Etat James Baker, illustre parfaitement tout ce qui peut être accompli lorsqu’une politique est soutenue par une volonté politique. Le contraste avec les dettes de l’Afrique ne pourrait pas être plus prononcé. Seulement trois ans auparavant, Jubilé 2000 a défrayé la chronique lorsque des groupes de société civile, des stars du rock et quelques ministres de la Finance comme le Britannique Gordon Brown ont demandé l’annulation de la dette africaine. Le président Bush a réussi dans sa croisade ; Jubilé 2000 a réussi à décrocher des promesses vaines.
Bien évidemment, les deux campagnes ont dû faire face à des obstacles différents et leurs bases de soutien étaient différentes. La mission de Baker disposait du soutien illimité des Etats-Unis, confrontés au coût gargantuesque de la reconstruction de l’Irak ; Jubilé 2000 avait uniquement l’opinion mondiale à ses côtés. Les contrats de reconstruction lucratifs en Irak ont donné à l’Amérique les moyens de pression nécessaires pour contraindre ses alliés à la soumission ; Jubilé 2000 ne disposait d’aucune arme de persuasion de ce type.
Enfin, Baker a fait appel, en Europe et au Moyen-Orient, aux alliés traditionnels de l’Amérique qui ont besoin de l’amitié américaine dans de nombreux domaines. La campagne visant à faire grâce de la dette de l’Afrique était, quant à elle, axée sur la dette écrasante contractée par les pays africains après du FMI et de la Banque Mondiale, qui avaient uniquement à s’inquiéter d’argent. Les manifestations dans les rues lors de la campagne Jubilé ont néanmoins instauré un débat bénéfique sur les conditions de prêt du FMI et de la Banque Mondiale.
Mais le moment était venu d’abandonner l’approche humanitaire du mouvement Jubilé et de se concentrer sur l’aspect juridique. Il est utile de rappeler qu’aucun pays d’Afrique Noire, à l’exception de l’Afrique du Sud et de la Rhodésie (désormais appelée Zimbabwe), alors administrés par des gouvernements de minorité blanche, n’a pu exploiter les marchés des capitaux internationaux lorsqu’ils ont acquis leur indépendance au début des années 1960. Les marchés des capitaux nationaux n’existaient pas. Ces pays n’ont alors pas eu d’autre choix que de sous-traiter leur développement au FMI et à la Banque Mondiale.
Ces institutions ont identifié, évalué, approuvé et financé des projets qui ont augmenté de façon irréversible la dette africaine. Elles ont surveillé et entériné le recrutement de consultants qui ont mené les études liées à ces projets, ainsi que le recrutement du personnel expatrié impliqué dans leur mise en oeuvre. Pendant la réalisation de ces projets, elles ont mené des missions de surveillance régulières complétées par des audits annuels et des rapports trimestriels sur la progression des projets.
Toutefois, en dépit de toutes ces mesures coûteuses supportées par les Africains, tous les rapports post-évaluation sur les projets achevés ont indiqué que la majorité écrasante des projets n’était pas parvenue à générer les revenus nécessaires pour rembourser les dettes qui les ont financés. Mais les pays débiteurs sont néanmoins obligés de rembourser ces dettes par tous les moyens nécessaires, y compris des emprunts supplémentaires et des complications additionnelles, qui accentuent leur appauvrissement. Par exemple, la croissance par tête entre 1965 et 1998 s’élevait à -0,8 en Côte d’Ivoire et au Ghana, à -0,1 en Guinée-Bissau, à -2 en Zambie et en Mauritanie, et à 0 au Nigeria.
Pourquoi la situation s’est-elle dégradée ? Les prêteurs multilatéraux ont préconisé une stratégie de développement basée sur la théorie de l’avantage comparatif et d’une libéralisation économique effrénée. L’Afrique a dû ouvrir ses marchés tout en produisant des matières premières et des produits essentiels afin de générer des revenus et ainsi investir dans l’industrie, l’éducation, la santé et la production alimentaire. Ces hypothèses se sont révélées erronées suite à la chute régulière des prix à l’exportation au cours des quatre décennies qui ont suivi.
Mais il aurait dû être évident depuis le début que la stratégie du FMI et de la Banque Mondiale était vouée à l’échec. Toutes les nations développées ont protégé et subventionné leur production nationale au cours des premières phases de leur développement, et elles opèrent encore ainsi lorsque cela les arrange.
Par ailleurs, les Etats-Unis, les états membres de l’UE et les pays d’Asie de l’Est ont tous réglementé les investissements étrangers entrants et ont imposé des contrôles sur les capitaux. Les partenariats avec les entreprises étrangères ont été élaborés pour permettre aux entreprises locales de bénéficier du transfert de technologies et de la formation tout en créant les conditions les plus favorables pour les producteurs locaux, afin d’ajouter de la valeur à la production nationale et aux exportations.
Face à ces faits indéniables, la voie choisie par le FMI et la Banque Mondiale constitue, au mieux, une preuve de leur incompétence et, au pire, un stratagème délibéré pour garder les pays d’Afrique Noire et leurs peuples en esclavage. Dans les deux cas, ces deux institutions ont certainement bien des comptes à rendre et les accords de prêt offrent une clause d’arbitrage à cet effet. Ces clauses doivent toutefois être invoquées, mais pour garantir l’unité et pour renforcer la solidarité des pays africains, il est préférable que l’Union africaine naissante prenne l’avantage.
L’Union africaine doit demander des conseils juridiques, porter l’affaire à l’ordre du jour de l’Assemblée générale de l’ONU, préconiser le gel des remboursements des dettes internationales pendant l’application des procédures d’arbitrage, et s’assurer le soutien de la communauté internationale, et tout particulièrement celui des ONG qui ont déjà fait leurs preuves en soulevant la question des dettes de l’Afrique. Toute compensation recouvrée grâce à ces poursuites judiciaires devra être utilisée pour créer un fond monétaire africain dont l’objectif sera de guider rapidement l’Afrique vers une intégration régionale complète, permettant ainsi au continent de tirer parti des éléments positifs de la mondialisation.
Les poursuites judiciaires peuvent être coûteuses et risquées. Toutefois, si elle doit choisir entre des subventions ponctuées de désespoir et des épisodes fréquents d’autodestruction collective, l’Afrique devra choisir la voie juridique pour rassembler son peuple et sauvegarder son processus de développement.
Copyright : Project Syndicate, mai 2004.
Traduit par Valérie Bellot